« Billy Joel was what I meant to be » (« Billy Joel représentait ce que je voulais être »). En une déclaration d’amour au fameux pianiste
américain sur la chanson qui porte son nom, LORD$ annonce la couleur, tant sur ses intentions que sur ses ambitions sonores. Et place la barre très haut, revendiquant la perfection d’un âge d’or mélodique qu’on croyait figé dans le marbre e Sunset Boulevard. Quand vient le refrain, le groupe ajoute un clin d’oeil au hit Goodbye Stranger de Supertramp, comme pour solder le souvenir d’une décennie idéale téléportée en 2024 afin de la fantasmer dans son épopée futuriste. Qu’on ne s’y trompe pas, tout autant inspirés par les musiques actuelles, ces cinq musiciens ne sauraient se contenter de regarder dans le seul rétroviseur de la nostalgie. C’est au contraire un funk pixellisé fascinant qu’ils déploient tout au long de Speed It Up, leur premier album. LORD$ prend forme en 2021 avec Zablon (guitare et chant), Rémi Klein (claviers et chant), Jay Adams à la basse, Gary Haguenauer à la guitare, et Bastien Bonnefont à la batterie, venus d’un peu partout en France. Redoutables instrumentistes, ils donnent une poignée de concerts, jouant notamment à la Petite Halle de la Villette à Paris, l’un des antres du renouveau jazz tricolore. On a aussi vu le groupe se produire avec une section de cordes, ou dans un appartement afin de concourir à la prestigieuse série de concerts intimistes Tiny Desk, livrant une session qui a bluffé la radio publique américaine NPR.

Speed It Up réunit de manière paritaire des compositions signées Jay Adams, Zablon et Remi Klein. Ça tombe bien car le groupe vit de l’amour porté par chacun aux chansons des autres. L’album fait l’objet d’un enregistrement au studio parisien Motif Musique dans les conditions du direct, seules les voix étant traitées séparément. Aux manettes, le producteur Jordan Kouby se charge de l’enregistrement et du mixage.L’ensemble malaxe un tourbillon d’influences dans un bouillonnant pot commun auquel contribuent les cinq virtuoses. Sur cet album sans bavardage inutile ni dégression barbante, ils se permettent des montées prog-rock, des effets métal, des gorgées de soul vintage, une énergie fusion, des harmonies vocales ensoleillées…

Inspirées d’artistes novateurs et exigeants d’aujourd’hui, de Thundercat à Louis Cole en passant par Tyler, The Creator, Jacob Collier, Dijon, DOMi & JD Beck, Anderson.Paak ou Oliver Tree, amies avec l’esthétique du label Brainfeeder de Flying Lotus – tiens, beaucoup d’Américains – les treize chansons dessinent un univers maîtrisé, truffé d’humour et de références propres aux millennials qu’ils sont. On reconnaîtra ainsi un petit air de Mario Kart au détour de la chanson Here We Go. Très gamer, le groupe prévoit aussi la mise en ligne sur la plateforme Steam d’une nouvelle version de Try Again, un jeu nommé d’après sa chanson, développé par les membres du groupe et inspiré du célèbre Zelda, dont des personnages représentent ses artistes préférés. Quant au nom du groupe en forme de fausse piste, il faut chercher son sens du côté des pionniers skaters californiens de Lords of Dogtown, rehaussé du dollar qu’exhibe le rap bling-bling à la A$AP Rocky ou Ty Dolla $ign. D’autres reconnaîtront dans Speed It Up l’esprit d’Electric Light Orchestra, des Wings de Paul McCartney ou de Stevie Wonder. Et ils auront tout autant raison. Alors, comme son titre en intime l’ordre : foncez.

Pascal Bertin